Toujours à la recherche de la haute montagne et des cols à plus de 2000 mètres, Charly, mon camarade de vélo, voyageait en Arménie l'été 2000 et je l'accompagnais. Voici son compte rendu du voyage.
L'Arménie, vous connaissez ? L'Arménie est-ce un peuple ou une religion? On en oublierait les liens étroits sentimentaux ou familiaux qui nous unissent à ce petit pays ( grand comme la Belgique ) du lointain, Caucase, aux confins de l'Europe et de l'Asie. Qui n'a pas dans son entourage plus ou moins proche cette très bonne copine ou ce grand ami arménien. L'Arménie, elle, est mal connue pour nous voyageurs occidentaux qui manquons cruellement d'informations pour aller à la découverte de cette ancienne république soviétique à la population de 3.500.000 habitants. L'Arménie est un pays de montagne, servies sur un haut plateau parcouru de chaînes, hérissé de volcans éteints et cerné de toutes parts par les puissants appareils montagneux d'Asie mineure, de Perse et du Caucase. Il y a son poumon économique, Erevan, sa capitale, tandis que le reste du pays est un enchevêtrement de montagnes de plus de 3000 mètres entaillées de vallées profondes. Qui dit montagne dit cols ( évidemment ) et la petite superficie du pays nous permettra de le parcourir de fond en comble. Le programme se composera de 10 étapes, la première semaine en autonome, et la seconde, des ascensions de cols ( acheminé en voiture ), 14 cols dont 12 au dessus des 2000 mètres. Pour compagnon de voyage, j'ai réussi à embobiner Barbara pour cette aventure insolite.
C'est avec une journée de retard ( à cause d'une grève des aiguilleurs du ciel ) que nous nous envolons à 15h30 pour l'Arménie à bord d'un Tupolev ( assez rustique ) remplaçant l'Airbus prévu le lundi, entourés principalement d'Arméniens de divers horizons. Après 4h30 de vol sans histoire, nous atterrissons dans la nuit étoilée. Il est 22h30 ( 19h30 en France ) et la température annoncée est de 27º ! Les formalités douanières passeront comme une lettre à la poste, mais la récupération des bagages sera assez farfelue. Puis, nous sommes transféré par navette en plein cœur de la capitale à l'hôtel Erebouni de construction typiquement soviétique ( 500 chambres ). Mais le cœur n'y est pas. En déhoussant mon vélo, j'aperçois la patte de la fourche arrière côté dérailleur assez tordue. Je la détords comme je peux mais le mal est fait et après un assez long réglage, le bilan est presque positif, la grande denture ne passe pas. Ouf, je n'aurai pas à effectuer ce séjour en mini-van que nous allons réserver pour la seconde partie du voyage. Pour Barbara, pas de problème matériel et c'est vers 2h30 ! que Morphée nous attend.
Un beau ciel bleu et une température dépassant les 30º pour la première journée. Au programme le matin, réservation des hôtels et du mini-van avec chauffeur pour la durée du séjour dans l'une des agences les plus dynamiques du pays ( Prana Tour ). Puis nous démarrons cette courte étape dans l'après-midi étouffant d'Erevan ( alt. 1000 m ) parmi une circulation polluante sur une chaussée exécrable. Dès la sortie de la ville, le trafic disparaît, et la route extrêmement large et bien goudronnée nous rassure. Quant au paysage il n'est pas trop rayonnant, malgré une belle vue sur les montagnes aux sommets enneigés. Achtarak ( alt. 1100 m ) est en vue, nichée dans la verdure de ses vergers de part et d'autre de la rivière Kasakh aux gorges impressionnantes, et jouit d'un climat agréable, un cadre reposant et pittoresque. Nous cherchons vainement l'hôtel prévu, assez luxueux ; alors nous nous replions sur le second devenu vétuste par le temps, un grand immeuble style soviétique ou nous avons quelques problèmes avec l'eau, mais en Arménie c'est monnaie courante. Quant au dîner, nous trouvons au fond du val de la rivière un restaurant en plein air, l'un des meilleurs de la région et lieu de rendez-vous des nouveaux riches de la capitale, avec tous leurs attirails ( téléphones portables, Mercédes, et gonzesses ) !
Après un petit déjeuner express ( soda et pain ), nous montons progressivement en longeant le canyon de la rivière Kasakh avec un vent défavorable que n'apprécie guère Barbara. La chaussée est bien revêtue, le décor est très vert, beaucoup d'agriculture, le coup d'œil vaut le détour. Nous suivons toujours le canyon jusqu'à ce que la rivière Kasakh se noie dans le lac Aparan entouré de montagnes recouvertes par endroits de forêts. Le ciel est bleu, l'air très pur, mais le soleil est traître à cette altitude. Nous pouvons observer en permanence sur notre gauche la plus haute montagne d'Arménie au sommet enneigé, le Mont Arakadz ( alt. 4090 m ) et le paysage est très changeant selon qu'on est au sud ou au nord de ce vaste volcan éteint. Peu après un léger ravitaillement, nous atteignons le Col de Spitak ( alt. 2378 m ) surpris d'y arriver déjà. Puis s'ensuit la descente quelque peu vertigineuse où le vent violent nous fait courber l'échine jusqu'à Spitak ( alt.. 1300 m ) située près de l'épicentre du tremblement de terre de 1988-Spitak a été quasiment anéantie. En changeant de cap sur l'ouest, nous évitons sûrement un gros orage car le ciel est très chargé à l'opposé. Nous suivons la vallée agricole de Pambak parallèlement à la voie ferrée Erevan-Tbilissi ( Géorgie ) sur une chaussée qui a trop souffert du tremblement de terre. Le vent favorable nous facilite la tâche pour les derniers 40 km. Le Col de Jalur ( alt. 1952 m ) atteint, nous dévalons avec prudence la descente pas trop encourageante à cause de l'état de la chaussée. Gumri ( alt. 1500 m ) approche, la deuxième ville du pays avec 250.000 habitants qui s'appelait alors Leninakan avant le séisme de 1988 ; elle a été en effet détruite à plus de 60%. Mais son centre historique avec ses églises et ses rues bordées de maisons datant de l'époque coloniale russe a été relativement épargné. Pour repérer notre hôtel, la police ou les chauffeurs de taxi sont les meilleurs bureaux de renseignement mais sans enseigne, un guide fera l'affaire. Genre motel on nous attribue la chambre de luxe pour 8000 drams ( 64 F ) 32 F chacun!
Aujourd'hui, sans bagages, nous allons effectuer une boucle dans l'arrière pays de Gumri à 1500 m d'altitude qui est un haut plateau entouré de montagnes. La frontière Turque n'est qu'à 13 km mais nous prenons plutôt la direction du nord vers la Mer Noire en Géorgie. La chaussée bien bitumée et large au début, se rétrécit au fur et à mesure que nous nous élevons vers les sommets montagneux. Le ciel, comme à son habitude, est d'un bleu azur et le soleil commence à faire des siennes. Nous laissons l'axe principal au trafic nul pour suivre la route de Tashir normalement goudronnée sur les cartes mais devenue une piste avec des trous et des trous, c'est désolant. A la sortie du village agricole de Musayelian débute la montée du Col de Karakhach ( alt. 2272 m ), un dénivelé correct mais la difficulté provient de la chaussée exécrable et du vent violent qui est de la partie, ce qui oblige Barbara à m'attendre au pied du col car elle craint de s'envoler. Proches du col, les bergers et leurs troupeaux me souhaitent la bienvenue avec véhémence ( un extra-terrestre est de passage ). Retour en arrière, la descente s'effectue aussi rapidement que l'ascension. Barbara est toujours là ( on ne l'a pas kidnappée ), mais elle boude car elle ne semble pas apprécier le vent, l'état des routes, et les chiens méchants attirrés par sa bonne chair. Pour parvenir au second col du jour, nous traversons le village fantôme d'Amasija où le séisme a fait d'énormes ravages. Barbara m'attend à la buvette du coin pendant que j'effectue la montée du col qui culmine à 2214 mètres. Au sommet, un véhicule militaire me fait stopper pour un contrôle de passeport ( ça ne rigole pas ), je dois les suivre au poste du village où Barbara est déjà installée avec une interprète parlant français. Ils n'ont pas l'air de comprendre le but de notre visite dans ce secteur proche de la Turquie, qui relèverait dans l'état actuel des choses d'un voyeurisme indécent. Ils ne sont peut-être pas au courant que le rideau de fer est levé, mais cela s'arrange après maintes questions ( nous sommes libres, il ne manquerait plus que ça ) dans le pays le plus ouvert de l'ex-URSS. Les 26 km restant pour conclure l'étape seront épouvantable , un parcours du combattant, sur une route endommagée par le séisme, Barbara s'en souviendra.
De bonne heure, nous reprenons la route de Spitak effectuée il y a deux jours. Le Col de Jalur ( alt. 1952 m ) est vite avalé malgré le vent et la chaussée accrocheuse. Peu de circulation à travers cette belle vallée agricole épousant l'unique voie de chemin de fer reliant Erevan à Tbilissi. A Spitak je m'offre un crochet au Col de Bazum ( 2559 m ), une bien belle montée dans une nature pure et belle au revêtement douteux par endroit. Barbara, qui préfère se reposer, me voit réapparaître bien après et a lié connaissance avec un petit commerçant et sa famille de quoi tuer le temps. De nouveau dans la vallée et juste avant de terminer l'étape, je m'offre un dernier cadeau, le Col de Pouchkine ( alt. 2037 m ) du nom du poète russe de passage ici. Une montée aux multiples lacets ( un lointain cousin du Stelvio en Italie ) avec des vues plongeantes impressionnantes. Retour en arrière où Barbara, qui s'est abstenue de cette nouvelle ascension, m'attend avec impatience 2 heures après, je la comprend. Vanadzor ( alt. 1350 m ) ( 170.000 habitants ) est tout proche. Anciennement Kirovakan, la troisième ville du pays, a eu un peu plus de chance que ses voisines lors du séisme de 1988, même si elle a été aussi sévèrement affectée. Notre hôtel, un immense immeuble de conception soviétique au cœur de la ville, est vétuste en état de délabrement avancé. Quant aux canalisations d'eau, elles sont coupées, alors nous nous lavons à l'ancienne avec l'eau stockée dans la baignoire. Larges avenues, gigantesques bâtiments municipaux, épiceries en pagaille est le principal tableau d'une grande ville d'Arménie de l'ex-URSS. Les gens ici, comme ailleurs, nous dévisagent ou plutôt Barbara! Cela nous gêne car il n'y a pas un semblant de contact. Après un excellent dîner dans l'unique restaurant de la cité où l'accueil et le service chaleureux peut surprendre, nous allons affronter notre lit ou plutôt le matelas ( nos reins seront mis de nouveau à rude épreuve ) c'est habituel ici.
Démarrage en fanfare car nous nous élevons de suite sur une quinzaine de km pour nous rapprocher de l'altitude 2000. Le paysage est très Alpin et le vent prédomine. A notre droite se profile majestueusement la longue chaîne montagneuse de Pambak ou l'on devine aux arêtes bien aiguisées la présence de cols. Justement, après quelques tronçons de chaussée juste praticable, nous bifurquons dans le creux de la vallée pour essayer d'atteindre le sommet de la crête au Col de Margaovit ( alt. 2628 m ). Dès les premiers hectomètres, la piste se dégrade. Barbara, qui n'apprécie point ce terrain ne pourra jamais obtenir son permit de muletier. Elle n'insiste pas trop et fera en m'attendant une longue sieste à l'ombre, face à un cadre idyllique. Quant à moi, je progresse tantôt à pied, tantôt difficilement en selle à travers des bois de pins et d'autres plantes aromatiques. Au sortir de cette verdure à 2300 m, le décor devient rocaille mais nullement inintéressant. Pour conclure l'ascension j'opte pour la marche...à pied, à peine plus lent qu'en selle. Au sommet à 2628 m ( aussi haut que le Galibier, mais en plus chaud ) la vue étendue est grandiose. Je dégringole instantanément à vitesse grand V sur...Barbara car je ne veux point qu'elle s'inquiète comme à son habitude. Nous concluons ensuite l'étape par une longue descente dans la vallée recouverte de forêt à perte de vue, qui malheureusement ne nous permet pas trop de profiter de cette nature irréprochable, car nous devons être très attentif, la chaussée est exécrable. Dilizan ( alt. 1300 ) est un centre de cure ( ou plutôt l'a été ) vu les installations ancestrales agonisantes. Nous prenons nos quartiers dans un centre de formation d'informatique et logeons dans une hutte triangulaire avec un confort sommaire. Un accueil à l'occidentale, une douche bien chaude ( ce qui n'est point évident ici ) chez le maître de ces lieux, et un succulent dîner dans la pénombre en guise de conclusion de cette 5e étape qui commence à peser dans les jambes de Barbara.
Charles Winter
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