Oh surprise, le ciel est couvert ce matin, mais la température est douce malgré le massif boisé. Nous quittons Dilizan ( alt. 1300 m ), ce havre de paix en débutant la longue montée ( 15 km ) du Col de Sevan ( alt. 2114 m ) à travers des zones forestières de pins et sapins. A son sommet les nuages ont disparu laissant place à un soleil radieux. La vue est imprenable sur le lac Sevan aux eaux turquoise. Nous descendons sur les rives de l'un des plus grands lacs de haute montagne du monde. Cette vaste nappe d'eau douce est suspendue à 1918 m d'altitude. Nous le suivons un instant, puis filons sur Erevan ( la capitale ) par la seule autoroute du pays séparée par un large trottoir, une véritable montagne russe sur quand même une cinquantaine de km, ce qui n'est pas rien, mais avec un vent favorable nous pouvons dresser la grande voile. On approche d'Erevan ( alt. 1000 m ) et la chaleur torride se fait sentir, ainsi que la pollution. Avec quelques difficultés nous rejoignons l'agence de voyage pour prendre possession de notre mini-van avec chauffeur, qui sera à notre entière disposition pour le reste du séjour dans le sud du pays. Le chauffeur ne parlant ni français ni anglais, mais un peu l'allemand, Barbara nous servira d'interprète car elle manie assez bien la langue de Goethe avec un mélange de norvégien avec success. L'accueil à l'agence est chaleureux, on nous offre quelques enquarts, tout se déroule donc bien dans la bonne humeur. Tout est prêt pour cette seconde semaine, le chauffeur et le mini-van sont dispos, nous pouvons partir en direction du lac Sevan par l'autoroute ! Ne vous fiez pas aux apparences, ni plus ni moins qu'une nationale avec peu de trafic! Après une bonne heure, nous sommes rendus. L'hôtel est vaste au bord du lac avec plage privée, fait pour accueillir les nombreux touristes des pays de l'ex-URSS, mais depuis c'est le bide total, la faute a qui ? Malgré le luxe de l'hôtel, nous avons toujours ce problème d'eau chaude. Il faut patienter, mais nous n'avons plus le temps car l'heure du dîner approche. Le restaurant est excellemment situé sur un des sites du lac les plus visités, l'Ile aux Oiseaux et son monastère rustique. Nous serons les seuls clients pourtant nous sommes en juillet ! Pas de carte et la langue arméniene et russe n'etant pas notre fort, alors une visite guidée à la cuisine pour nous détailler le choix de notre menu s'impose.
Nous démarrons sans bagages et suivons la rive du lac la plus protégée du vent où l'on peut se baigner le long des étroites plages qui s'étendent au pied des montagnes. Le soleil s'éveille, il fait doux, et l'air est très pur. Quoi de plus normal à 1900 m d'altitude ? Les pêcheurs sont à pied œuvre sur ce site inondé de cette lumière dont la puissance frappe tous les visiteurs. Nulle part dans le pays, le ciel n'atteint cette pureté et cette intensité que lui donne le miroir du Sevan. La chaussée est bien revêtue et plate, et l'on peut observer le long du rivage de nombreux vestiges rouillés de chantiers abandonnés depuis la chute du système soviétique. Au 26ème km nous quittons le lac pour une petite incursion au Col de Karmir ( alt. 2176 m ), proche de l'Azerbaïdjan. 8 km d'escalade ou plutôt d'une montée douce car on ne grimpe pas aux arbres ( dénivelé : 180 m ). De retour au lac et en attendant vainement notre chauffeur avec qui nous avions rendez-vous, je pique une tête dans l'eau fraîche du lac, sous l'objectif de Barbara. Puis retournons à l'hôtel en apercevant à quelques encablures de l'arrivée notre chauffeur qui a du s'éveiller de sa sieste !
Aujourd'hui une étape marathon...à quatre roues, près de 300 km sur terrain miné, l'état de la chaussée est parfois déconcertant. Nous suivons la rive orientale du lac, la moins visitée, mais non la moins pittoresque. Le revêtement correctement goudronné au début fait place à une piste trouée comme du gruyère. Le mini-van effectue une épreuve de slalom spécial tandis que les vélos tiennent les chocs à l'arrière. On peut se poser des questions sur la présence d'une voie de chemin de fer électrifiée, s'il vous plaît, dans cette région désolée des confins de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan. Si un train s'aventure jusqu'ici après avoir longé la rive la plus escarpée du lac Sevan, c'est parce que les environs renferment d'importantes mines d'or. Construite évidemment, par les Soviétiques pour convoyer le minerai d'or des mines de Zod vers d'autres régions de l'ex-URSS où il était traité. De son métal jaune envoyé en Russie dans des wagons plombés, l'Arménie n'en voyait presque pas la couleur ( à vous de juger ). Le relief, quant à lui, explique la faible densité de population dans ces zones de pâturages essentiellement consacrées à l'élevage. Après ce gymkhana nous bifurquons à Vardenis, adossée a la chaîne volcanique couronnée de neige, cap sur l'Azerbaïdjan pour stopper notre véhicule au terminus de la voie ferrée à la mine de Zod. Le Col de Zod ( alt. 2366 m ) nous invite à le franchir. Au premier abord, le pourcentage est élevé sur cette route non bitumée et comme Barbara a déjà fait le choix de monter à pied, j'opte de même. 4 km d'ascension, pas la mer à boire, mais un poste militaire avancé se dresse devant nous. Interrogations ? Parev ( bonjour ). Nous expliquons le but de notre présence ici. Je ne sais s'ils comprennent notre charabia, mais quand je leur parle de la France du football ( Djorkaeff etc... ), la barrière se lève ! Au sommet qui faisait figure auparavant de frontière avec l'Azerbaïdjan, pas âme qui vive. Le poste frontière a été repoussé plus bas à cause des divers conflits armés. De retour au véhicule, la journée est loin d'être finie. Nous longeons à proximité une dernière fois le lac Sevan jusqu'à Martuni, un gros bourg agricole qui s'intéresse pour l'heure d'avantage à l'élevage qu'aux touristes. Porte pour le sud du pays, la partie méridionale de l'Arménie a longtemps été tenue à l'écart des itinéraires touristiques. Cette région rurale aux villages en nids d'aigle souvent troglodytiques a été aussi longtemps considérée comme la plus arriérée. Tout d'abord, nous devons franchir la puissante chaîne de Vardenis ( point culminant 3521 m ) en passant par le Col de Selim ( alt. 2410 m ). La route goudronnée...sur la carte a disparu et fait place dorénavant et sûrement pour la nuit des temps à une piste en très mauvais état où un 4x4 serait préférable à notre mini-van. Le paysage est pittoresque et sur ce vaste plateau d'altitude entouré de sommets se disséminent quelques fermes. Vu le retard pri par l'état des routes, j'abandonne l'idée d'effectuer les cinq derniers kms du Col de Selim, surtout plutôt à cause du crachin qui tombe. Après le sommet, la descente est tout aussi éprouvante, surtout pour notre chauffeur qui commence à être épuisé. Des lacets impressionnant, au dessus d'un vide énorme, j'en ai la chair de poule. Plus bas dans la vallée, le bitume réapparaît vers la route principale reliant Erevan au Haut Karabagh, qui a fait l'objet d'âpres combats et de négociations, où la nature se fait plus intimiste, plus souriante. Les villages de la région, entourés de petits vignobles égayant les flancs des montagnes exhalent plus que partout ailleurs en Arménie une douceur de vivre propre aux régions vinicoles. Il fait très chaud sur cette route reliant aussi l'Iran. C'est pourquoi nous croisons des camions citernes d'essence aux roues...voilées faisant la navette vers la capitale. Puis, cap à l'ouest pour une véritable promenade de santé puisque le terminus de la route n'est autre que la station thermale de réputation nationale ( comprendre ex-Soviétique ) de Djermuk ( alt. 2100 m ) ( le Vichy arménien ). Le paysage se fait alors plus grandiose, la nature semble retrouver ses droits dans ces régions reculées où les habitations se font toujours plus rares. Les nombreuses sources naturelles qui jaillissent des montagnes environnantes ont fait la réputation de cette station de cure dont les différents bâtiment assez sinistres on été construits à l'époque soviétique dans le style national arménien, en pierre de tuf rose. La journée a été longue et éprouvante, nous sommes fourbus et avant de rejoindre notre chambre avec appréhension, dans un des immenses établissements de cure, nous sommes reçus en grande pompe chez le directeur des lieux.
Une étape sans bagage, cela s'apprécie, ainsi que la couleur du ciel d'un bleu azur. L'air est frais à 2000 mètres mais dans la vallée ( 1300 m ) que nous rejoignons à bord de notre véhicule, la chaleur commence aussi sa journée. Nous laissons le mini-van et notre chauffeur, qui pourra ainsi continuer sa nuit, au pied de la première ascension. De ce côté-ci la montagne et le climat sont de type méditerranéen, pas de pâturage. La montée s'effectue par une petite route calme moyennement goudronnée sur une quinzaine de kms. Elle mène à la république autonome du Nakhitchevan qui appartient à l'Azerbaïdjan. Au sommet nous débouchons au Col d'Agchac ( alt. 1999 m ) dommage! Le paysage ressemble aux toiles de Van Gogh, et les paysans s'appliquent dans les champs à couper le foin avec les moyens du bord, la faux ! Retour en arrière dans la vallée ( 1300 m ) et sans plus attendre dans la fournaise nous engageons la deuxième et dernière montée du jour, plus impressionnante car assez longue, 20 km. L'air devient de plus en plus agréable, le vent se lève, le ciel est très chargé et un coup de tonnerre qui ne me dit rien qui vaille m'oblige à terminer l'ascension au sprint. Barbara qui atteint peu après le Col de Vorotan ( alt. 2344 m ) a juste le temps de se mettre à l'abri dans une roulotte aménagée en buvette et dortoir, quand les premières gouttelettes se manifestent. Elle évite une bonne saucée. Premières inquiétudes, combien de temps serons nous bloqués dans ce refuge, mais après 1h30 d'un repos forcé, appréciable surtout pour Barbara qui a le dos en compote, le soleil réapparaît. Après avoir laissé sécher la chaussée, je prends les devants pour la longue descente, car Barbara descend comme un pied, ce qui me permettra de récupérer le véhicule et d'aller à sa rencontre, car il se fait tard. De retour à nos foyers, nous nous empressons de rejoindre la salle à manger aux horaires de pensionnat pour un repas peu appétissant ( ne faisons pas la fine bouche, bein voyons ! ).
Toujours de bonne heure, nous nous installons confortablement dans le mini-van pour une étape vers l'extrême sud du pays appelée Zanguezour du nom de la haute chaîne de montagne, qui en constitue l'épine dorsale. Le soleil est déjà rayonnant quand nous reprenons la montée du Col de Vorotan ( alt. 2344 m ) effectuée la veille à vélo. Pas d'orage cette fois-ci, un ciel entièrement dégagé. Le sommet atteint, nous pouvons mieux observer les curieux monuments style Incas de part et d'autre du col, ainsi que la fontaine, très attirante pour les routiers ( son eau est sûrement miraculeuse ). Passé le col, la route descend doucement puis traverse un vaste plateau ( qui n'est pas si plat que ça ) dominé à l'ouest par la chaîne déchiquetée du Zanguezour et criblé de pierres volcaniques crachées il y a des millions d'années par les hauts cratères qui hérissent le plateau du Karabagh. Aux abords de la localité d'Angechakot, un barrage militaire nous oblige à renoncer à effectuer plus à l'ouest l'ascension à vélo du Bicanak Pass ( alt. 2346 m ) car jouxtant la frontière de l'Azerbaïdjan il pourrait être signalé par quelques balles perdues. Je garde mon calme extérieurement, mais l'intérieur bouillonne quand même. Ils ne nous reste plus alors qu'à rejoindre directement Goris, notre ville étape. Nichée dans les forêts recouvrant les montagnes environnantes, la localité a été créée à l'époque soviétique. Jusque là les habitants de la région vivaient comme au 5e siècle avant notre ère, dans des habitations troglodytiques ! Ici nous logeons chez l'habitant, une formule économique. C'est à dire que les occupants nous laissent entièrement leur appartement et vont loger ailleurs ! A part les problèmes habituels d'eau chaude, le gîte est bien tenu et confortable. N'est ce pas Barbara qui dormira à même le sol, sur le matelas tout de même, car les lits dans ce pays sont généralement creux ( bonjour le dos ). Mais avant, tout l'après-midi s'offre à nous pour une excursion au village de Khndzoresk, banal me direz-vous, plutôt fascinant à la vue de ces curieux cônes de pierre crayeuse hérissant les pâturages et les versants des montagnes. Ces cheminées de fées qui donnent à ces paysages des faux airs de Cappadoce s'appellent chez nous « les demoiselles coiffées », un véritable chef d'oeuvre caché de tout tourisme. Très remonté en début de journée, la conclusion est plutôt réconfortante.
Le ciel est couvert et orageux, assez rare depuis le début du séjour. Au programme auto + vélo = 1 col, une formule pratique! Nous suivons la route vers l'Iran qu'il a fallu réaménager de telle sorte qu'elle permette le transit des poids lourds Iraniens qui ne pouvaient s'aventurer sur ces mauvais chemins de montagne, à peine carrossables. Après avoir joué à saute-moutons pendant une cinquantaine de km, nous atteignons la ville de Gaban ( alt. 750 m ), la plus basse altitude du voyage, petite localité nichée dans une vallée encaissée qui attirèrent des ingénieurs français pour les riches mines de cuivre que renferment les montagnes de Zanguezour. La ville est dominée par de puissantes montagnes dont les cimes neigeuses attirent les alpinistes. La chaîne de Zanguezour, aux sommets très déchiquetés ( altitude maximum 3830 m ), a en effet une physionomie typiquement alpine qui la différencie des autres montagnes d'Arménie, aux formes plus arrondies. La couverture forestière court tout le long, ou presque, de la route qui conduit à l'Iran, en passant par la ville minière de Kadjaran ( alt. 2000 m ) où nous débarquons du van. Comme bouquet final le Debaklu Pass ( alt. 2535 m ), col routier le plus haut du pays, une belle conclusion avec un début d'ascension pénible certes, mais une fin convenable, l'air y est frais. Barbara est loin derrière, mais c'est prévu! car je dois continuer sur ma lancée au Col d'Aycinqil ( alt. 3707 m ), 1200 mètres plus haut. Je suis trop gourmand et téméraire car je pars dans l'inconnu. Sur la carte un sentier y est mentionné alors pourquoi pas ? Mais après quelques km à pied sur une piste élargie par des travaux de terrassement, je déchante. Devant moi l'impasse, une énorme cascade me fait face et en y réfléchissant de plus près, j'admet que la photo de la carte datant d'une quarantaine d'années ( ! ) me laisse peu d'espoir de retrouver ce sentier bouffé par la végétation depuis, tant pis. Quant au site, il est impressionnant avec les sommets aux crêtes enneigées engluées dans la brume. De retour au véhicule à Kadjaran, Barbara et le chauffeur se délassent...chacun de leur côté dans une sieste en m'attendant. Après cette escapade dans les montagnes du sud-Arménien longtemps tenue à l'écart des itinéraires touristiques, mais considéré comme l'une des régions les plus authentiques du pays, nous rejoignons nos foyers à Goris, fatigués et satisfaits d'avoir en quelque sorte réussi cette expédition dans l'inconnu aux confins du Caucase.
Avant de prendre la direction de la capitale, c'est à dire, la traversée de tout le pays sur près de 300 km, nous ne pouvons quitter la région sans avoir fait un détour par l'un des plus beaux monastères d'Arménie, Tatev, situé au bout d'une route d'un revêtement d'un autre âge, en lacets serpentant dans les canyons vertigineux, aux versants boisés. Entouré de puissantes murailles, le monastère s'est effondré en 1931 à la suite d'un violent séisme ( déjà ) aïe... attender, et a été relevé ouaih... dans son ensemble tel qu'il avait été construit aux IXe et XIe siècles. Peu ou pas de visiteurs en ce week-end, les Arméniens ont d'autres chats à fouettés. A présent nous pouvons prendre l'axe principal pour Erevan par delà les montagnes et vallées tantôt verdoyantes ou sèches par endroits, puis comme par enchantement face à nous, mais au lointain, se dresse majestueusement cerné de sa couronne enneigée le Agri Dagi, plus connu sous le nom de Mont Ararat ( alt. 5165 m ) et flanqué de son petit frère le Kuçuk Agri Dagi, haut de 3925 m « seulement ». Une montagne magique au même titre que le Fuji Yama ( alt. 3778 m ) pour les Japonais, l'Ararat constitue un élément essentiel du paysage géographique et symbolique arménien, mais se situe côté turc. Nous sommes à présent dans la plaine de l'Ararat renommée et illustre, fertile et féconde, abondante en choses utiles, de vastes espaces agricoles, vergers, champs et vignes qui valent à cette région son nom de grenier à blé d'Arménie. A l'approche de la capitale Erevan, de part et d'autre de la route, une succession d'échoppes vendant un peu de tout 24 heures sur 24 nous rappelle peut-être que l'un des plus importants axes commerciaux de l'Asie passait par ici, mais il a bien longtemps. Il fait toujours chaud ( +30º ) dans Erevan et l'air est parfois douteux malgré l'altitude ( 1000 m ). Nous retournons à l'hôtel du premier jour, toujours 500 chambres! déposons tout notre attirail et allons restituer le véhicule « et son chauffeur » à l'agence, puis revenons à l'hôtel en métro ( eh oui ) pour quelque centimes. La boucle est bouclée, ouf...
Départ en navette de l'hôtel pour l'aéroport dès 8h30, où le décollage a lieu à 10h30. Pas d'interruption de travail ici, ils ne seront jamais champion du monde de la grève comme nous. Pas de Tupolev vétuste cette fois ci mais un bon petit Airbus d'Arménian Airlines ( 100 passagers ) leur seul en circulation, et après 4h30 de vol, nous atterrissons dans la fraîcheur de Roissy et de l'été ( 15º ) ! quel contraste !
Charles Winter
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